Thursday, November 21, 2019

Nous détruisons la seule chose qui pourrait nous sauver

Beaucoup de fondamentalistes religieux sont d'accord : le monde touche à sa fin !
Certains (la plupart ?) pensent qu'il finira dans le feu. Les autres pensent que la glace sera le coupable. Après avoir contemplé le ciel enfumé cet été, je mise sur les flammes.
Sérieusement, nous sommes foutus. Les pandémies. Les guerres à propos de l’eau. Les enfants en cages. L’effondrement culturel. Les inondations bibliques. L'extinction.
Le monde dangereux, accapareur et imprévisible que nous avons créé est voué à l'oubli.
La technologie ne nous sauvera pas. Ni les incantations aux allures intelligentes, ni les véhicules sans chauffeur ou un départ dans des colonies loin dans l’espace, rien ne sortira du chapeau. Nous ne serons pas sauvés par les Marines, les milliardaires ou les super-héros numériques.
Nous détruisons notre ressource la plus vitale.
Sans l'intelligence civique, sans notre capacité de régler les problèmes efficacement et équitablement, nous n'avons pas d'avenir.
Tout le monde s'en fout. Probablement parce que s'en soucier signifierait modifier notre façon de penser et d'agir.
Les gens ont déploré le déclin du monde et ont rendu publique son importance, mais sans une expression communément acceptée, nous ne pouvons pas y penser ou en parler.
L'"intelligence mise en commun" de John Dewey est construite avec la contribution de tous : Nous ne progresserons pas dans la lutte contre le racisme, les inégalités économiques, la dégradation de l'environnement ou la guerre sans notre créativité, notre compassion et notre dévouement collectif.
L'intelligence civique est large mais non ambiguë. Le changement social est un processus d'apprentissage qui s'adapte à des situations spécifiques. Des groupes de personnes travaillent de façon autonome et coopérative : protester, théoriser, enseigner et apprendre, jardiner, construire, signer des chèques, programmer, analyser des données, faire de la musique et de l'art.
L'intelligence civique est plus facile à détruire qu'à créer. Les pays qui ont récemment lancé des réformes démocratiques rechutent vers le fascisme. Malheureusement, c'est logique : N'importe quel idiot peut brûler une grange.
Mais David, le berger de renommée biblique, a déployé avec succès sa fronde contre le géant Goliath. En d'autres termes : David gagne parfois. Et pas à cause de la chance.
On pratique l'intelligence civique par la pensée et l'action, jamais l'une sans l'autre. Elle vise des objectifs sociaux et environnementaux positifs. C'est critique, non dogmatique et provisoire.
L'intelligence civique exige la participation des citoyens. On peut commencer par lire et discuter. On peut rejoindre des projets, des groupes ou des mouvements existants ou commencer quelque chose de nouveau. On peut poser des questions : Pourquoi cette communauté est-elle appauvrie ? Les soins de santé peuvent-ils être plus abordables ? Comment aborder simultanément les objectifs environnementaux et sociaux ?
L'intelligence civique présume qu'il existe des chemins qui mènent à des situations améliorées, même si ces chemins ne sont pas évidents. Il peut être difficile de voir comment une action peut résoudre un problème, mais les actions aident à découvrir de nouvelles idées et opportunités.
Elle ne diabolise pas les groupes de personnes et ne favorise pas la violence. Des slogans douteux autour de la "pureté" ou de la "grandeur" passée détournent l'attention des problèmes réels et favorisent l'ignorance civique.
L'intelligence civique n'a pas besoin de permission ou de diplôme. Greta Thunberg, la militante suédoise de 16 ans, a prouvé que l'âge n'est pas un obstacle. Elle a montré que les représentants nommés détruisent l'avenir des personnes vulnérables qu'ils sont censés protéger.
L'intelligence civique n'est pas nouvelle. Avant 1874, il était illégal de battre son chien, mais légal de battre son enfant. Mais après un épisode horrible, la question de la protection de l'enfance est entrée dans la sphère publique et les premières lois contre la cruauté envers les enfants ont été adoptées.
Le génocide n'était pas un crime jusqu'à ce qu'un avocat polonais, Raphael Lemkin, invente le terme et pousse l'ONU en 1948 à légiférer.
Lorsque les médias se concentrent sur des leaders charismatiques et des actions spectaculaires, ils ignorent le travail quotidien, la partie cruciale et submergée de l'iceberg de l'intelligence civique, qui reste invisible et sous-estimée. Des actions civiques intelligentes émergent de la vie quotidienne.
Les citoyens marchent pour la science et pour les femmes. Ils conçoivent de minuscules maisons pour les sans-abris et lisent le rapport Mueller pour en savoir plus sur les irrégularités de la campagne présidentielle de 2016. Aux Pays-Bas, des personnes âgées se réunissent et réparent des appareils usagés. Les Kenyans ont planté 51 millions d'arbres pour aider à reboiser leur pays. Dans le monde entier, les gens font de la science citoyenne, comptent les nids, analysent l'eau à la recherche de toxines, surveillent les usines.
Les gouvernements peuvent aussi s'engager. En 2015, presque tous les pays du monde se sont mis d'accord sur un plan de lutte contre le changement climatique. Et lorsqu'un négationniste du changement climatique à la Maison-Blanche a dispersé bon nombre des décideurs politiques les plus compétents du pays dans des gouvernements d'État et locaux, ils se sont retrouvés dans des fondations et des organismes sans but lucratif, reconfigurant leur réseau pour continuer le travail.
Nous pensons, pour la plupart, que résoudre les problèmes n’est pas pour nous. Cela signifie qu'il faut transmettre ces problèmes à des dirigeants en qui peu de gens ont confiance.
Les ignorants civiques ne peuvent pas changer d'avis, poser des questions critiques, voir d'autres perspectives, affronter l'ambiguïté, remettre en question leurs prémisses, ou être sceptiques face à des affirmations douteuses. Ils blâment la victime et craignent la personne qui n'a pas l'air, n'agit pas ou ne pense pas comme eux. Ils choisissent des "hommes forts" pour les diriger, des dictateurs en herbe qui promettent de résoudre tous leurs problèmes, généralement en "s'endurcissant" par la brutalité et la marginalisation d'autrui. L'ignorance civique engendre l'ignorance civique.
Les gens se préoccupent à juste titre de leur propre vie et sont pris dans des habitudes de pensée qui empêchent toute action significative. On leur a appris à ne pas penser à certaines choses, à ne pas les remettre en question, à être impuissants et à être désespérés. Ils sont anxieux, déprimés et paralysés.
Mais si l'intelligence civique est souvent dangereusement basse, elle n'est jamais nulle. Et il n'y a pas de maximum : il peut toujours y en avoir plus.
Des progrès positifs ont été réalisés tout au long de l'histoire, même dans les périodes les plus sombres, et toutes les actions ne sont pas vouées à l'échec. L'intelligence civique exige du courage. Les luttes seront souvent longues et se heurteront à une opposition forte et bien financée.
N'importe qui peut jouer un rôle actif dans notre intelligence civique dynamique et évolutive. Les gens verront les signes d'espoir s'ils les cherchent. L'un de mes moments les plus mémorables en tant qu'enseignant a été lorsqu'une élève m'a dit que sa mère apprenait aussi l'intelligence civique. Elles discutaient de ces idées après les cours.
Se jeter d’une falaise n’est pas la seule alternative qui reste. Un monde juste et durable est possible. Mais nous pouvons choisir de jouer du violon pendant que le monde brûle. Si, en effet, ce n'est pas la glace qui ferme le rideau.

Merci à Terry Zimmer et Myriam Lewkowicz pour leur traduction et leurs conseils.